jeudi 17 février 2011

Grand Prince - Croquis

Osa ®
Ceci est mon prince. Certes, il n'est pas encore sur l'écran, mais 
c'est un escargot. Il fait ce qu'il peut. 
C'est mon escargot et puis voilà.



 

Le Submergé / Conte aquatique


C’est l’histoire d’un homme qui vit sous l’eau. Cela semble difficile, bien sûr, mais le commun des mortels ignore que dans certains pays, les hommes vivent sous l’eau. Certes, ce n’est pas facile tous les jours ! On ne sait pas si ces phénomènes retiennent leur respiration, cachent une petite paille qu’ils portent discrètement à la surface, ou trouvent des poches d’air pour s’oxygéner. Cela reste assez mystérieux, mais c’est ainsi.

Il faut dire que les hommes sont bizarres : certains surnagent, d’autres flottent, certains partent à la dérive, ce qui est toujours mieux que de couler. Mais celui-là restait entre deux eaux, simplement submergé.

Un jour il y eut une tempête. Elle était sans doute plus forte que les autres et provoqua des remous jusque sous l’eau. Il semblait que tous les éléments s’étaient ligués pour agiter le monde et le submergé perdait l’équilibre. C’était curieux, pour un homme habitué aux eaux troubles. Était-ce un courant, un coup de vent, un réflexe, une vague ? Le submergé fût poussé vers la surface par une force invisible. Il se trouva soudain sur un rocher, agréablement chauffé par le soleil.

Il n’était pas au bout de ses surprises. Il y avait, sur le rocher avoisinant, une petite sirène agile qui avait enlevé le haut de son maillot : mais oui ! Les hommes, ignorants qu’ils sont de la vie aquatique, croient naïvement que les sirènes ont une queue de poisson. Et puis quoi encore ?

La sirène porte un petit boxer short en lycra plongé, tenue parfaite pour tous les sports. Et là, elle avait décidé de bronzer, c’était bon pour ses nerfs et pour son teint. Halée et détendue, elle était toute jolie.

Le submergé était abasourdi. Il ne perdit cependant pas le Nord et se dit que, tant qu’à faire, il allait causer avec cette charmante créature. Ils se mirent à bronzer ensemble, dégustèrent des fruits, burent un peu de champagne. La vie était belle car ils étaient en vacances.

Ils ne faisaient presque rien et c’était très bien. Mais quand le soleil commença à baisser, à cause du changement immuable des saisons, ce fut un peu moins facile. La tempête s’était calmée, l’eau avait repris son cours. Le téléphone du submergé sonnait de plus en plus souvent pour lui ordonner de reprendre son poste. Il dit vaguement à la sirène qu’il fallait qu’il y retourne et plouf, un jour, il se laissa glisser sous l’eau.

La sirène était embêtée. Elle trouvait le submergé émergé drôlement sympathique. En même temps, elle n’était pas du genre à faire des histoires et ce n’était pas le moment. Elle aurait voulu montrer les coquillages, la musique et les petits gâteaux, toutes les douceurs terrestres et sa collection de boxers shorts, qui lui allait plutôt bien. Mais le submergé était habitué à vivre sous l’eau. Il y avait des tas de gros poissons qui l’attendaient. Il y avait aussi quelques sirènes, mais celles-là n’enlevaient pas leur maillot, en tout cas pas avec l’élégance délicate de la sirène terrestre.

Le submergé était très troublé. Il pensait à l’air libre, à la lumière, à tout ce temps passé à rêver et à dorer…

La sirène décida de continuer son chemin pour devenir, si possible, la plus jolie et la plus drôle des sirènes, avec une belle maison et un jardin. Car la sirène de la Terre aimait les jardins. Elle adorait les arbres et les fleurs et souhaitait inviter ses amis et le submergé s’il émergeait un jour.

Personne ne savait ce qui pouvait arriver. On n’est pas maître des éléments. Elle se remit au travail avec acharnement. De temps en temps, elle envoyait une petite fleur, une petite émeraude, la pierre ovale de la sérénité ou une photo de maillot - qui peut calmer aussi -. Elle envoya même un masque et un tuba, en poste restante, au cas où.

Entre les eaux et la Terre, il faut garder espoir et faire confiance au vent, aux courants, au soleil et aux mystères de la vie des hommes.
 
Osa ®  2006-2011

Mes Deux Seins - Croquis fou

Ceci est mon escargot neurasthénique.

mardi 15 février 2011

Joue contre joue - Croquis doux

Ceci est mon escargot.

Lettre à Dédé / chronique télé

(TF1, 12 02 11, « Danse avec les stars » en prime time)


Cher Dédé, Monsieur Manoukian,


Je dois me confesser, une fois de plus et je le fais bien volontiers auprès de vous, car le mot : « confesser » pourrait vous inspirer des réflexions philosopho-ésotériques de qualité, et qui constituent une part de votre charme animal.

J’ai regardé une émission inavouable, au hasard sur TF1, « Danse avec les stars », un divertimento du Samedi soir, dans lequel vous vous êtes brillamment illustré. Ne soyez pas modeste, je vous ai vu. C'est une sorte de télé-crochet dansant pour VIP... On nous l'avait annoncé avec des teasings ravageurs, comme on nous annonce, sur France 2, les téléfilms historiques et hystériques avec Anne Parillaud. C’est dire si c’était prometteur.

En plus, j’étais en retard parce que ma copine Laetitia m’avait encore embêtée, elle n’avait rien fait à part ce qu’elle fait d’habitude, c’est-à-dire rien, justement, mais ce soir-là, ça m’énervait. J’avais besoin de m’énerver contre quelqu’un et puis est-ce que je me mêle de votre vie privée, sans blague...

J’étais donc en retard et j’ai essayé sans succès de mettre en route ma fonction TV sur mon téléphone portable, qui n’est même pas un smartphone. Quand vous allez dans un SAV de téléphonie avec cet objet dans les mains, on vous regarde avec un air de profonde commisération. J’ai finalement réussi à trouver l’image en HD sur l’écran minuscule, mais c’était trop tard, j’étais déjà chez moi et devant ma télé. C’est bête, la vie.

Je suis arrivée au moment où la grande Marthe Mercadier, actrice, 82 ans, expliquait, extatique, qu’elle était pleine d’énergie et bien vivante, après quelques images sympathiques de répétitions avec un jeune partenaire tout acquis à sa cause. Marthe entrait en scène en direct, en mini-robe lamée or et bords à fanfreluches - et ce n’est que la stricte vérité -, maquillée comme une panthère (la panthère, c’est comme une voiture volée : elle a l’art du camouflage). La musique était pleine d'à propos : "Lady Gaga" (sic?), ce qui donnait à peu près : « aen-aen hen hen heiinn, aen aen-hen hen heiinn… ». (N.B Pour la mélodie, prenez trois notes au hasard sur le Clavinova de vos enfants). Mademoiselle Mercadier se lançait dans une chorégraphie, pardon, une "choré." formidable, où son « gigolino » faisait les 3/4 du boulot.

Soyons honnêtes : c’était loin d’être nul, d’abord parce que la dame faisait preuve d’une vitalité ébouriffante, avec montée de gambette finale qui m'a laissée toute émue. (Voir photo illustrant l'article de Véronique Groussard, "Mémé est épatante", p. 20 du "TéléObs" du 16 au 22/07/11). Et puis le côté baroque de l’affaire a retenu mon attention.

Vous avez été bien courageux de tenir toute l'émission, Monsieur Manoukian. Certes, vous n'avez tenu qu'une émission, mais ce n'est pas la quantité qui compte... Quand on aime, on ne compte pas... 


Parmi les épreuves que vous avez stoïquement traversé, il y avait d'abord celle de l'animateur, un beau gosse chic prénommé Vincent Cerruti. Il ressemblait à un mélange chirurgical d’Olivier Minne avant les stéroïdes anabolisants, avec un zeste de Sacha Distel (paix à son âme), maquillé et coiffé comme une panthère, lui aussi, mais en moche. Il y avait également Sandrine Quétier. La vie est cruelle, parfois... Ensuite, il y avait des « proches » dans le public, les "petites filles" de l’actrice : deux jeunes femmes normales et sympathiques, dont on lisait l’angoisse bien compréhensible sur le visage. Enfin, le jury, avec une pouffe pigeonnante en robe blanche « Marylin ». J’ai finalement reconnu, avec une pointe de désespoir, Alessandra Martinez, l’une des 20 ex-femmes de Claude Lellouch, ce qui me fait penser que Lellouch les abîme soit pendant leur vie de couple, soit au moment de la rupture, mais en tout cas, il les abîme vraiment beaucoup. À côté d’Alessandra Marti-Pouffe, il y avait un canadien avec une horrible voix de fausset qui criait tellement fort que Frankenstein, le présentateur, lui fit remarquer au milieu de l’émission qu’il fallait baisser d’un ton. Je vous laisse imaginer la régie dans l’oreillette : « rhhààa, Coco, dit à ce crétin d’arrêter de hurler, on peut plus régler le son, merdre !! ». Enfin le troisième membre du jury était un chorégraphe hispanisant et pittoresque, assez bigarré lui aussi, mais ça passait bien à côté des deux autres.

On a eu droit à des « stars » formidables, comme Bigard (bonjour, tristesse), M. Pokora, Adriana Karembeu, qui danse comme un mannequin, Sophia Essaïdi, qui danse comme une danseuse, David Ginola, qui danse comme un footballeur et Rossy de Palma, qui ne danse pas vraiment... Tout ce monde était accompagné de professionnels aguerris, champions de concours latino, autant dire très doués, mais également très portés sur les balancements de croupes et déhanchés du meilleur goût. Je mentionne tout de même le cavalier de Rossy de Palma, un petit gars pétillant et plein de charme, qui relevait le niveau général.

Et puis il y avait vous, Dédé, tout pataud, tout inquiet, tout intimidé et ça, mon coquin, c’est un truc infaillible pour attirer les femmes. Vous étiez moulé dans un pantalon à pince avec gilet ajusté, équipé de talonnettes qui me font penser que l’on vous en veut terriblement, à TF1. Avec la choré. qu’on vous a collé, vous aviez le charme d’un Demis Roussos anorexique, l’aisance d’un bonobo dans un raout mondain et le rythme fou de Maurice, quand il danse au bal à Lille après sa huitième bière.

Mon Dédé, j’ai adoré votre prestation - et je ne plaisante pas -. Il y avait, dans cette incertitude, dans cette hésitation et dans ces efforts appliqués une qualité, une poésie, une promesse d’émotion que je n’ai pas vue chez d’autres candidats ; un tout petit peu chez David Ginola, qui vous a battu sur le fil, tout ça parce qu’il a de beaux yeux (tu sais) et un petit air conquérant et joyeux qui me fait penser au copain de ma copine Clémentine, qui est une fille très bien.
 

Monsieur Manoukian, il est des concours qu'il vaut mieux perdre... Jusque-là, je me méfiais de votre réputation de tombeur de jeunes filles en fleur, mais maintenant, avec vos jolies défaillances, je commence à vous trouver très sympathique.


Osée Osa ®
14 février 2011

Le Grand Nigos / Conte téléréaliste


Je n’aurais jamais dû aller à la finale du Grand Nigos. Le Grand Nigos est un jeu télévisé, version moderne des chaises musicales. On met de la musique, avec un orchestre symphonique et des danseurs habillés en combinettes moulantes et pailletées. Tous les candidats virevoltent autour des chaises pendant que le Grand Nigos fait le bateleur en hurlant des banalités pour faire monter le suspense. Quand l’orchestre s’arrête, paf, tout le monde s’assoit, sauf le grand ou la grande nigaude qui n’a pas trouvé de place et qui est donc éliminé. Le jeu dure longtemps car il y a une quinzaine de candidats au départ et chaque émission dure presque trois heures, avec toutes les promos nationales et internationales du moment. L’orchestre symphonique joue aussi parfois de vieux trucs poussifs, des valses lentes et des rumbas alanguies, c’est encore plus dur pour les candidats qui n’ont pas vocation à danser et qui ondulent mollement autour des chaises. Le public a pour mission de crier le plus fort possible pour mettre de l’ambiance et ce n’est pas facile. C’est l’émission la plus courue du PAF hertzien et moi, comme une andouille, je m’étais promis d’y assister, car je trouvais que l’animateur du Grand Nigos était assez joli garçon.

C’est un Hongrois brésilien passablement télégénique, qui parle plusieurs langues et s’habille en Berlutti. A part ça, pas grand-chose, mais j’avais récupéré par hasard son numéro de téléphone et cela m’aidait bien les jours de spleen. Je lui envoyais des petits messages idiots auxquels il répondait toujours très gentiment. Évidemment, c’était le plus souvent un assistant qui répondait aux dizaines de messages aussi complaisants que le mien, mais c’était parfois Nigos lui-même et cela me faisait du bien de penser qu’un homme célèbre s’intéressait à moi.

Pour tout dire, j’avais eu son numéro grâce à Henriette, la magnétiseuse de ma mère. Un jour de pluie, gris et orageux, Henriette avait hurlé de rire et de joie lorsque je lui avais avoué, dans un moment d’égarement et d’exaltation circonstancielle mon admiration pour le Grand Nigos. Henriette était fan, elle aussi et trouvait que le Grand Nigos portait merveilleusement le costume, ce qui en ferait un mari idéal. Elle était hélas déjà marié à un médecin auvergnat charmant, mais un peu dépressif et devait se contenter de croiser le Nigos dans les salons feutrés des cercles hongrois parisiens. Lorsqu’elle me vit bondir comme une gazelle autour de la table de la salle à manger, elle me donna le téléphone du Nigos et je bondis de plus belle.

Il faut dire qu’il y avait une crise. Ma mère avait confondu le jour et la nuit, avait mis ses chaussures dans le frigo et réveillé tout l’immeuble à trois heures du matin en poussant à fond sa télé sur une chaîne espagnole, dansant un flamenco endiablé sur le rebord de son balcon jusqu’à ce que chute de pot de fleurs s’ensuive. Les pots de fleurs n’étaient pas tombés de très haut, 82 cm exactement, car ma mère habite au rez-de-chaussée. Par contre, les voisins étaient furieux, ma mère s’était fait un tour de rein et avait insulté tous les pompiers lorsqu’ils étaient venu à son secours. Un vrai scandale. Nous prenions donc du thé et des gâteaux avec Henriette pour nous remettre de nos émotions. Ma mère partait à l’hôpital, à cause des chaussures dans le frigo et j’étais triste. C’est dans ces moments de relâchement que l’on commet une erreur et j’ai accepté avec enthousiasme le téléphone du Grand Nigos.

Vous êtes en train de vous demander si le Grand Nigos est le nom de l’émission de télé ou de son animateur. En fait, il s’appelait Roger Chopchick, Chopchick signifiant «tailleur pour dames» ; mais il tenait l’émission depuis un nombre d’années considérables, en tirait des revenus substantiels ainsi qu’une réputation consternante et son nom s’était confondu avec elle. On regardait le Grand Nigos animer le Grand Nigos et puis voilà.

J’étais donc invitée à la finale, après trois mois de compétition interminable où de jeunes gens post-pubères s’étaient épuisés à tourner indéfiniment autour de leurs foutues chaises, moins une à chaque fois. Il y avait une coutume assez horrible selon laquelle, lorsque l’un des impétrants était éliminé, la foule le huait copieusement en se donnant de grandes claques sur les fesses et les cuisses, tout en rigolant bruyamment. C’était l’usage. Le Grand Nigos faisait alors sa célèbre « tourniquette » (trois rotations rapides sur lui-même), puis prenait un air solennel et réprobateur et calmait le public avec de bonnes paroles. Tout le monde faisait amende honorable, le perdant pleurait très fort, pour que ce soit émouvant et puis ses camarades l’étreignaient et chantaient pour saluer son départ. L’idée de devoir me taper sur les fesses en riant m’attirait moyennement et je commençais à regretter mon élan télévisuel.

Mais il était hors de question de vexer Henriette, magnétiseuse un peu fantasque mais plutôt sympathique. Elle s’était donné du mal pour avoir les places et puis elle était assez fière de me montrer qu’elle avait ses entrées auprès du Nigos. Malgré la longueur de l’émission, beaucoup de gens voulaient y assister, dans l’espoir hypocrite d’être vu à la télé. Les places étaient chères et j’étais coincée. Je reçus le carton d’invitation le jour même, il y avait marqué : « tenue de soirée exigée ». C’était embêtant. Qu’allais-je donc pouvoir mettre pour circuler facilement, ne pas être grotesque et montrer tout de même mes jambes, au cas où je pourrais saluer le Grand Nigos ? Après quelques essayages, j’optais pour un mini-paletot noir qui faisait robe, sur une légère tunique violine près du corps, discrète et de bon goût, avec un petit nœud coquin sur le décolleté, dont tout le monde se foutait royalement. J’ajoutais des collants gris bronze, censés mettre en valeur mes jambes (de gazelle), mais j’avais surtout du mal à trouver la position idoine, assise ou debout, car mon mini-paletot s’ouvrait un peu trop. Bref, j’ai pris froid en attendant les hôtesses et j’ai eu trop chaud sur le plateau. Mais j’étais toute contente de porter mon badge en plastique « loge du Nigos ». Cela me permettait, en principe, de me faufiler partout, de boire du champagne et de croiser toutes les vedettes locales de la soirée. Une aubaine.

L’émission commença à l’heure car c’était du direct, baigné du stress des techniciens et des chefs de plateau débordés. Tout le monde s’agitait en tout sens, le public courait dans les travées en s’arrachant des T-Shirts aux effigies des deux derniers candidats, c’était un foutoir complet. Le chauffeur de salle faisait des grands signes pour lancer les applaudissements et malgré le hululement infernal qui envahissait la salle, cela ne lui suffisait jamais. La mise en scène était simple : il y avait une grande chaise dorée et couverte de faux strass au centre du plateau. Le grand Nigos avait mis une sorte de turban argenté avec une aigrette, pour marquer le coup et faire un signe amical aux notables de la ville. On avait rajouté des choristes à l’orchestre pour faire encore plus de bruit et les candidats avaient dix tableaux éliminatoires, du heavy-metal à revue égyptienne, en passant par l’incontournable reprise de : « Ne Me Quitte Pas », que l’on chantait en latin à chaque finale.

J’étais disciplinée. Pour faire honneur à Henriette, je me levais avant chaque chanson et applaudissais à tout rompre en me dandinant avec enthousiasme. J’ai tenu les deux premières heures ; sur la fin, j’étais un peu déshydratée et je m’étais rendu compte que les cadreurs ne filmaient que les deux premiers rangs. Le badge du Nigos nous avait tout juste permis de nous caser au bord du douxième gradin et encore, en trichant un peu.

La jolie candidate blonde, triste et fade, perdit largement. Le gagnant brandit le trophée et posa pour les photographes, tout le monde s’étreignit devant les caméras et se pinça les fesses en grognant de satisfaction. Le plus important restait à faire : me faire repérer par le Nigos ou par tout autre individu un tant soit peu important. Henriette fatiguait, elle en avait vu d’autres. Elle savait qu’il ne se passait rien dans les loges et avait hâte de rentrer pour prendre de l’aspirine. Mais j’insistais lourdement et les vigiles blasés nous laissèrent passer sans mot dire.

Au premier étage, il n’y avait qu’un long couloir gris et sale, éclairé au néon. Les loges étaient remplies de kleenex et de vieux sushis. Des « people » anonymes, affalés le long du mur, en jogging et en vieux pulls discutaient tranquillement. Lorsque Henriette s’avança dignement pour trouver la loge du Nigos, qui était dans l’autre sens, la directrice de production de la chaîne lui barra le passage avec un air de mépris achevé.

Nous entrâmes finalement dans la loge. Tous les amis étaient là, trois à quatre personnes en comptant les conjoints, avec quelques assistants oisifs qui baillaient en fumant. Le champagne était tiède et aigrelet. L’entreprise devenait hasardeuse et Henriette me fusillait du regard en mimant furieusement le mot : « taxi », pour signifier l’heure du départ. Je la suppliais bêtement. Je voulais au moins voir le Nigos.

Il finit par arriver, tardivement. Son premier geste fut d’enlever sa chemise, dévoilant un bout de torse convenablement velu, mais pas très excitant. Il serra d’un air viril et décontracté quelques mains tendues puis lança la musique, du folklore régional que tout le monde accueillit avec des : « ay you ki, gen-til you ki !! » vigoureux, que l’on doit rythmer en claquant des doigts. Je commençais à me sentir très seule. Henriette tirait très fort sur la manche de ma tunique pour m’obliger à sortir. J’eus tout juste le temps d’embrasser Nigos, qui me reconnut à cause de mes petits messages drôles et subtils. Il s’attarda un instant sur mes jambes d’un air désabusé avant de retourner danser. C’était cuit, je n’avais plus qu’à filer, et en vitesse.

Henriette, excédée, avait sauté dans un taxi sans m’attendre. J’errais quelques minutes dans les couloirs, histoire de voir et d’être vue peut-être, avant de rentrer me coucher. Je croisais la responsable des décors, beaucoup plus belle qu’à l’écran, avec son grand chignon gris et ses pommettes délicates. Le premier chorégraphe discutait d’un air grave avec le professeur de théâtre, qui tirait nerveusement sur un cigarillo éteint. Quant à la perdante, que l’on surnommait « Ophélie » à cause de son sourire inquiétant, elle errait en costume de scène, pieds nus, échevelée, dans l’indifférence générale. Il était temps de m’enfuir.

Je n’arrivais plus à trouver un taxi, mais un couple de producteurs californiens, venu négocier la prochaine saison de l’émission, accepta de m’emmener dans leur énorme BMW grise métallisée. Ils échangèrent quelques mots vifs au début du trajet, Madame reprochait à Monsieur de lui imposer des soirées : « in that stupid little messy place » et puis plus rien, un silence lourd malgré mes tentatives bilingues pleines d’espoirs et de bonnes intentions. Ils me laissèrent au centre de Paris où j’attrapais, transie et échevelée comme Ophélie, le dernier métro.



Osée Osa ® - 2009